Péroncel-Hugoz à L’Action Française : « Le Roi du Maroc bénéficie d’une popularité illimitée »
Ancien correspondant du Monde dans les pays arabes, collaborateur du principal quotidien en ligne marocain, Le360, Péroncel-Hugoz est l’auteur de « Deux mille ans d’histoire marocaine » aux éditions Casa-Express. Nos lecteurs n'ignorent pas qu'il collabore régulièrement à Lafautearousseau. Il vient d'accorder cet intéressant entretien à L’Action Française 2000.
Comment peut-on qualifier la monarchie chérifienne du Maroc, avec à sa tête le roi Mohammed VI ?
C’est une monarchie traditionnelle et familiale qui n’est ni absolue, ni très démocratique. La force de ce système réside dans l’amour de la population pour le roi. Récemment, un sondage qui plébiscitait le roi et le Gouvernement à 99 % n’a pas été publié. Pourquoi ? Un autre sondage pourrait tomber à 49 % un jour ou l’autre, et la monarchie en serait affaiblie. Pour l’heure, le roi bénéficie d’une popularité illimitée, presque irrationnelle, bien que les problèmes existent : pauvreté, bidonvilles, imbroglio à la frontière du Sahara... De ma vie de reporter, j’ai n’ai vu une telle popularité qu’une seule fois : au Pakistan pour Benazir Bhutto, Premier ministre, que les islamistes ont assassinée en 2007. Il fut un temps où les Marocains craignaient Hassan II ; aujourd’hui ils craignent pour Mohammed VI.
Comment qualifieriez-vous les membres du Parti de la justice et du développement (PJD), dont le mode d’exercice du pouvoir ne semble pas refléter l’extrémisme qui vient à notre esprit d’européens ?
Le PJD est un parti islamiste particulier, le même que celui d’Erdogan en Turquie. Il se compose de gens pieux et est clairement monarchiste. S’il a remporté autant de succès, c’est parce qu’il a la réputation d’être honnête, contrairement à la plupart des autres partis. À mon sens, c’est assez juste. Est-ce à tort ou à raison ? En outre, et c’est unique dans un pays musulman, les membres de ce parti ne parlent pas l’arabe classique quand ils s’adressent au peuple mais le darija, qui est le dialecte arabe du pays. Cela plaît énormément.
Quelles sont les prérogatives du PJD, le parti majoritaire ? Et quel est le rôle du roi, Mohammed VI ?
Même si ce système des partis est une façade pour plaire à la France et aux pays occidentaux, le PJD aura tout de même une influence en matière sociale et législative. Quant au pouvoir de Mohamed VI, c’est un pouvoir régalien ; il a un rôle arbitral, comme le roi de France l’avait en son temps. Depuis son palais, même s’il n’y est pas beaucoup, passant le plus clair de son temps à parcourir le royaume à la rencontre du peuple, le roi décide en dernier ressort. Il garde la main sur les questions capitales telles que les affaires étrangères ou la défense. Son épouse, Lalla Salma, mère du prince héritier Moulay El-Hassan et de la princesse Lalla Khadija, se montre en public non voilée et s’active en faveur d’oeuvres sociales. Elle n’est pas cachée comme le fut en son temps la mère du roi. Mohammed VI n’a qu’une épouse, contrairement à son père Hassan II qui avait deux femmes et dix-neuf concubines. Sa succession est assurée avec son fils qui deviendra Hassan III. Il a quatorze ans, l’âge de régner. Il est éduqué en quatre langues (arabe, anglais, français et espagnol). Voilà une monarchie qui flirte avec la modernité et la tradition.
Le roi du Maroc est aussi commandeur des croyants… Peut on parler d’un islam marocain ?
Oui. Comme on le dit un temps de la France, il existe une exception marocaine. Les musulmans marocains sont différents des autres. Le Maroc n’a pas connu la colonisation par les Turcs et c’est un islam qui diffère de celui de l’Arabie saoudite. L’islam du Maroc se tisse au travers de nombreuses confréries plus ou moins mystiques qui, rappelons- le, ont été jadis protégées par le maréchal Lyautey. Elles jouent un rôle éducatif et culturel dans les mosquées et les écoles. Ainsi, le roi, commandeur des croyants, gère un islam à sa guise.
Pourtant, les Marocains ne sont-ils pas nombreux à rejoindre l’État islamique ? L’attentat du Bataclan n’a-t-il pas été perpétré par un Marocain ?
Oui, c’est vrai, ils seraient deux mille. Mais au Maroc, les islamistes sont très surveillés, et contrairement à ce qui se passe en France, on ne les a pas laissé faire. Plusieurs attentats ont été déjoués depuis ceux de Casablanca en 2003 et de Marrakech en 2011. Les cinquante mille mosquées sont toutes sous surveillance, contrôlées par l’État. Le roi a ainsi ses sujets bien en main. À l’inverse de la France qui a laissé faire depuis plusieurs décennies et qui se réveille trop tard. Bien sûr, dans la lutte engagée contre le terrorisme, il existe une collaboration étroite avec la France. C’est d’ailleurs grâce aux services de renseignement marocains que le principal instigateur de l’attaque du Bataclan a été retrouvé et tué à Saint-Denis.
Dans quelle mesure le royaume du Maroc s’engage-t-il dans la lutte contre le terrorisme islamiste ?
Le Maroc se positionne dans le monde musulman, en particulier en Afrique, comme le maillon fort de la lutte contre le djihadisme. Le roi appelle régulièrement ses concitoyens à pratiquer un islam pacifié. Ainsi, après l’assassinat du père Hamel, il a déclaré la guerre totale à Daesh lors de son discours du 20 août. Il a parlé d’un acte illicite contre la loi divine et qualifié ce meurtre commis dans une église comme une folie impardonnable. C’est un acte courageux, et le mot n’est pas galvaudé, car Mohammed VI est désormais très exposé. •
Propos recueillis par Irène Magny
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